Entre 1850 et 1890, la mise au point de l’artillerie rayée, des poudres chimiques et des détonateurs retardés força la fortification à se cuirasser, à se bétonner, à se disperser et à s’enterrer. Ce quadruple mouvement trouva son application ultime avec la ligne Maginot, réalisée entre Montmédy et Nice de 1928 à 1938.
Bibliographie
- Hohnadel, Alain et Mary, Jean-Yves Hommes et ouvrages de la ligne Maginot (5 volumes), Paris Histoire et collections 2000/2010
- Truttmann, Philippe, La Muraille de France, Gérard Klopp, Thionville 1985
Après des études commencées dès 1922, le projet initial fut présenté par le ministre André Maginot en 1929. S’appuyant sur l’expérience des combats des forts de Verdun en 1916 et l’analyse des fortifications allemandes entourant Metz, les officiers chargés de la conception avaient adopté les solutions les plus modernes à défaut des moins coûteuses. Six milliards de francs furent finalement dépensés, mais officiers et députés connaissaient le coût humain et financier du premier conflit mondial.
Une structure éclatée
La ligne Maginot était une suite de gros ouvrages d’artillerie soutenant de leurs canons des petits ouvrages et des casemates d’infanterie qui assuraient la continuité des feux de mitrailleuses le long de réseaux de barbelés et de rails anti-char. En avant, des maisons-fortes ou des blockhaus servaient de sonnettes d’alarme. En arrière, des batteries d’artillerie lourde, des abris d’infanterie, des postes de commandement, des tranchées et diverses installations de soutien donnaient de la profondeur aux “régions fortifiées”.
Dans les ouvrages, seuls les “blocs” d’entrée, de combat et d’observation furent maintenus en surface. Avec des dalles et des murs de deux à trois mètres cinquante d’épaisseur de béton, ils ne pouvaient échapper à la vue, mais en arrondissant leurs formes, en talutant la façade aveugle tournée vers l’ennemi et en remodelant le terrain alentour par des remblaiements ou des délardements, on parvint à les intégrer au terrain transformé en glacis régulier pour faciliter le tir rasant des armes légères. L’emploi de peintures, de filets et de plantations assura un camouflage complémentaire.
L’infrastructure logistique (magasins, usine électrique, casernement, infrmerie, cuisine) et de commandement (poste de commandement, central téléphonique) des ouvrages fut enfouie dans des galeries à des profondeurs atteignant ou dépassant trente mètres, là où les obus de plus d’une tonne ne pouvaient faire sentir leurs effets. En Alsace, le gros ouvrage du Hochwald a nécessité le remuement de plus d’un million de mètres cubes de terre et de roc contre moins de cent mille mètres cubes de béton coulés.
À une époque où les tunneliers n’existaient pas encore, le roc fut percé à coups d’explosifs et de barres à mine et il fallut évacuer les terres sur des wagonnets. Dans les Alpes, on achemina le matériel par camion ou téléphérique. Une fois les galeries creusées, il fallut construire leurs piédroits et voûtes, drainer leur extrados, étanchéifier leur intrados et créer des caniveaux d’évacuation pour les eaux de condensation.
Enfin, les galeries furent équipées de câbles électriques et téléphoniques étanches, de tuyauteries, de gaines, de rails et même de locotracteurs pour les ouvrages d’artillerie.
Un bouclier inachevé
La vie souterraine de centaines d’hommes entraîna le choix de l’énergie électrique amenée du réseau civil par des forages ou produite par des groupes électrogènes. Cette énergie donnait vie à l’éclairage mais aussi aux cuisines, aux pompes, aux monte-charge et même aux tourelles d’artillerie. Pour lutter contre l’humidité, la ventilation forcée et le chauffage électrique s’imposèrent. L’air aspiré à l’extérieur pouvait être filtré et mis en surpression pour empêcher l’entrée des gaz nocifs.
Sans les observatoires, le commandement et l’armement de l’ouvrage étaient aveugles sous leur carapace de terre, de béton et d’acier. Renseignements sur l’ennemi, ordres et coordonnées de tir transitaient donc par un réseau téléphonique. Doublé par la radio et fortement maillé pour éviter une coupure accidentelle, ce réseau souterrain drainait l’information hors des ouvrages vers les casemates isolées, les batteries d’artillerie et les unités d’infanterie du secteur. En quelques minutes, les paysages bucoliques de Lorraine ou des Alpes pouvaient se transformer en enfer pour l’agresseur.
Fourmilière géante
Le double caractère technologique et souterrain de la ligne Maginot stimula les imaginations. Elle répondait à la conviction que la position fortifiée, héritage de la ceinture de forts établie par Vauban, était inexpugnable et évitait une stratégie offensive. Les pertes massives de la Grande Guerre, le dépeuplement de la France, la réduction du temps de service militaire pour la jeune génération résolument pacifiste, enfin le dogme unanimement répandu de l’inviolabilité des frontières expliquent le succès de la “maginite”, un mythe plus qu’une réalité. Dans les médias et les romans, la ligne Maginot devint la fourmilière géante barrant la frontière à l’envahisseur. Si elle protégea la mobilisation en 1939, obligea les Allemands à violer la Belgique et stoppa les Italiens dans les Alpes en 1940, la ligne Maginot céda, après le départ des troupes qui la soutenaient, aux assauts allemands dans le Nord, sur la Sarre et le Rhin. Elle devint, à tort, le symbole de la défaite de juin 1940.
Cent mille visiteurs annuels
Remise en état et réarmée après 1945, puis stratégiquement abandonnée avec la mise au point de la dissuasion nucléaire, la ligne Maginot reste depuis vingt ans un lieu de mémoire et de découverte technique pour plus de cent mille visiteurs annuels.
Martin BARROS
Ministère de la Défense, service historique